Vichy et la Science: un partenariat fructueux
On lira ci-après l'intéressant compte-rendu d'un livre sur la politique scientifique du gouvernement du maréchal Pétain, très en avance sur ce domaine, comme dans tant d'autres, (comme l'a montré l'an dernier l'historien Philippe Prévost dans sa série de conférences sur "Vichy, acteur de la modernisation de la France": http://actionfrancaiseaquitaine.over-blog.com/article-vichy-inventeur-et-acteur-de-la-modernisation-de-la-france-reunions-d-action-francaise-a-bordeaux-le-116989676.html ) sur celle de stagnation des Républiques qui l'ont précédé et suivi.
Depuis Barrès, les nationalistes français se sont toujours préoccupés du sort de notre recherche scientifique. C'est ainsi que le tiers des organismes de recherche publique actuels ont été créés sous le gouvernement de l'Etat français. Pressés par les cruelles nécessités nées de la défaite de la France par l'Allemagne, le génie innovateur des hommes du Maréchal a été d'orienter la recherche vers l'amélioration du potentiel de la France dans tous les domaines, de doter ces organismes d'une "masse critique" suffisante pour durer jusqu'aujourd'hui, et pour leur permettre de compter parmi les plus grands instituts mondiaux. Par le patriotisme de leurs fondateurs, ainsi que par leurs travaux au service du peuple français pendant la guerre et après, ces organismes de haute valeur ont amplement montré que leur conception était moderne et bienfaisante.
A.F.-Bordeaux & Basse-Guyenne
"Malgré les pénuries et l'isolement, les scientifiques travaillent d'arrache-pied dans les laboratoires de la France occupée. Le régime de Pétain enrôlera les plus dociles et restructurera l'effort public. Sait-on qu'un tiers de nos grands organismes de recherche sont nés sous Vichy ? "Rutabagas, semelles en bois et rationnement... Qui donc avait encore le coeur à se soucier de science, en France, sous l'Occupation ? Et pourtant, les chercheurs n'ont pas déserté leurs laboratoires entre 1940 et 1944. À la faculté des sciences de Paris, on ne soutient certes qu'une quarantaine de thèses par an, moitié moins qu'avant-guerre. Mais de quelle qualité ! Un certain Jacques Monod, biologiste, qui sera récompensé d'un Nobel en 1965, soutient sa thèse en 1941 ; malgré les lois antisémites, un jeune mathématicien juif, Laurent Schwartz, fait de même en 1943, sept ans avant d'obtenir la prestigieuse médaille Fields. C'est aussi la période où, dans les laboratoires de Rhône-Poulenc, le biologiste Bernard Halpern, juif lui aussi, met au point le premier médicament anti-histaminique, l'Antergan, pionnier d'une famille de molécules appelées à connaître une belle carrière. Sous Vichy, la recherche française pratiquait-elle donc le science as usual ?
"On pourrait le penser au vu de la production scientifique prolifique de certains chercheurs durant cette époque troublée. Dans ses Mémoires, Louis Néel, Nobel de physique 1970, s'attaque ainsi à « la légende selon laquelle rien de bon en physique n'a été fait pendant l'Occupation ». Il y oppose les quelque 40 publications et brevets de son groupe pendant la guerre, période durant laquelle débute la construction du centre de recherche sur le magnétisme de Grenoble, qu'il dirigera toute sa vie. En biologie, 25 articles paraissent entre 1941 et 1944 sous la signature du microbiologiste André Lwoff. Et, en 1945, le biologiste Antoine Lacassagne, de l'Institut du radium, lui-même auteur de 31 études entre 1940 et 1945, s'excuse de « ne pouvoir donner qu'un aperçu d'ensemble de la centaine de travaux publiés en moins de cinq ans ». Explication a posteriori du principal collaborateur de Lacassagne à partir de 1941, Raymond Latarjet : « Malgré les restrictions [...], on travaillait avec ardeur dans cet Institut du radium [...]. La guerre favorisait même le travail, en supprimant tout divertissement, et en donnant à ceux qui ne combattaient pas la notion que ce travail devenait pour eux un double devoir. »
"L'« ardeur » rend sans doute plus facile à supporter les innombrables difficultés matérielles de l'époque. Les pénuries frappent particulièrement les laboratoires. Le Pyrex, qu'utilisent les chimistes pour souffler leur verrerie, devient fragile à cause du manque de bore qui entre dans sa composition. Le platine, catalyseur de nombreuses réactions chimiques, fait défaut. Les biologistes peinent à nourrir les animaux sur lesquels ils font des expérimentations. Les généticiens de l'Institut de biologie physico-chimique, qui étaient parvenus à importer 50 kilogrammes de sucre roux de Martinique pour nourrir leurs mouches drosophiles, doivent affronter la fureur des femmes de service, indignées qu'on gaspille ainsi une denrée des plus rares. Autre problème : l'isolement des chercheurs français. Les revues scientifiques anglo-saxonnes n'arrivent plus, les revues allemandes, très importantes en chimie et en physique, ne sont livrées qu'au compte-gouttes. La participation aux congrès internationaux devient impossible, et les communications au sein même du pays, coupé en deux zones, sont difficiles. « Nous avons pratiquement travaillé en circuit fermé pendant cinq ans, sans contact avec l'extérieur », se souvient Louis Néel dans ses Mémoires. "Quelques nouvelles de la science étrangère arrivent cependant par le Bulletin analytique du CNRS. Animé par le minéralogiste Jean Wyart, le service de documentation du CNRS a en effet réussi à organiser une contrebande des revues scientifiques étrangères, notamment anglo-saxonnes. Le personnel de ce service épluche les précieux Journals et publie dans le Bulletin les titres traduits des articles, accompagnés d'un résumé succinct. Les chercheurs peuvent ensuite se procurer une copie microfilmée des articles qui les intéressent. Succès fulgurant : les tirages de 1944 du Bulletin analytique rivalisent avec ceux des prestigieux Comptes rendus de l'Académie des sciences.
"L'« anti-France » écartée
"Le régime pétainiste saura, lui aussi, s'appuyer sur l'« ardeur » afin de mobiliser, pour ses objectifs, la recherche française. Qui aurait pu s'en douter ? En juillet 1940, les hommes de Vichy n'ont pas de projet scientifique pour la France. Ils s'unissent plutôt dans une détestation du passé et de ce Front populaire qui vient de créer, en 1939, le CNRS. L'organisme, dirigé par deux hommes de gauche, est conçu par ses fondateurs comme le bras scientifique de l'État au service de la Défense nationale. Dans cette tâche, il ne se fera pas que des amis dans les laboratoires des facultés, jaloux de leur indépendance.
"Sitôt la défaite consommée et le gouvernement de Pétain installé, une partie de la recherche fera les frais de l'épuration de l'appareil d'État entamée par le régime. L'« anti-France » syndicalistes, militants de gauche, étrangers récemment naturalisés, Juifs et francs-maçons sera écartée de la fonction publique, et notamment des universités. Selon les pointages de l'historien Claude Singer, 126 Juifs, 40 opposants politiques dont le physicien Paul Langevin et 27 francs-maçons sont révoqués des universités françaises entre 1940 et 1941, soit environ 12 % du corps enseignant. Certains bannis partent en exil lire ci-contre « Le refuge américain ». D'autres trouvent refuge dans l'industrie. D'autres enfin profitent, pour un temps, de bourses que le CNRS conserve le droit d'accorder aux chercheurs indésirables. Mais, à la rentrée de 1942, le Commissariat général aux questions juives supprime les bourses aux 21 scientifiques juifs qui en bénéficiaient encore. Plusieurs chercheurs de renom, arrêtés parfois jusque dans leurs laboratoires, périront dans les camps nazis.
"Vichy réprime. Il va également administrer. Dès l'été 1940, le carburant, les moyens de chauffage, le ravitaillement manquent, et le gouvernement se demande comment passer l'hiver. La recherche peut aider à résoudre ces problèmes, avancent alors à Vichy ceux que l'on appellera bientôt les « technocrates ». Qui sont-ils ? Des hommes pour qui la Révolution nationale est un « ferment du progrès technique », « l'insertion du futur dans le présent », comme l'écrit un de leurs éminents représentants, le secrétaire d'État à la Production industrielle Jean Bichelonne. Jeunes, souvent diplômés des grandes écoles, familiers de la haute administration ou dirigeants d'entreprises, les technocrates veulent moderniser le pays en mobilisant la recherche scientifique. Ils se donnent carte blanche. Il n'y a plus de contrôle parlementaire et l'occupant allemand se montre relativement indifférent à ces questions. À Berlin, en effet, on est fort d'une écrasante supériorité scientifique : entre 1919 et 1939, Allemands et Autrichiens remportent 9 prix Nobel de chimie, 7 de biologie et 6 de physique. La France est pâlichonne avec ses 5 lauréats, et l'occupant en est bien conscient : en 1941, les autorités d'occupation transmettent au ministère de l'Éducation du Reich à Berlin le décret de réorganisation du CNRS français, accompagné d'un laconique et condescendant : « Les intérêts allemands ne sont pas touchés. Il n'y a pas d'objection à faire. »
"Mobilisation scientifique
"Les hommes de Vichy peuvent alors transformer à leur guise le CNRS honni en pourvoyeur de moyens et de méthodes de ravitaillement. Cap sur la recherche appliquée. Le nouveau patron de l'organisme, Charles Jacob, géologue et politiquement conservateur, vante le concret des travaux du Centre lors des conseils d'administration : un nouveau procédé de filtration de l'air pour les moteurs Diesel des trains le 7 octobre 1941 ; la génétique du topinambour le 11 février 1942 ; la congélation de la viande et des légumes le 12 octobre 1943, etc. Ces rapports donnent lieu à des rapprochements qui paraissent aujourd'hui comiques : à la séance du 12 décembre 1941, les administrateurs approuvent l'octroi de 12 000 francs à l'abbé Breuil, professeur au Collège de France, pour « lui permettre de faire exécuter des relevés de peintures et de gravures à la caverne de Lascaux », qui vient d'être découverte. Juste après, les mêmes votent une subvention deux fois supérieure à un professeur de la faculté des sciences de Clermont-Ferrand pour « des travaux de jardinage nécessités par les recherches sur la pomme de terre » !
"La mobilisation scientifique voulue par les technocrates ne se limite pas au recentrage du CNRS. Chaque ministère, ou presque, se dote de ses propres organismes de recherche. La Santé avec l'Institut national d'hygiène en 1941 lire ci-contre l'interview de Jean-François Picard ; les Colonies avec l'Office scientifique de recherches coloniales en 1943 ; l'Agriculture avec le Service de recherche agronomique en 1943. Le ministère de l'Industrie se distingue par un certain jusqu'auboutisme : il crée le Centre national d'étude des télécommunications le 4 mai 1944, puis l'Institut français du pétrole sept jours après le débarquement de Normandie ! Chaque fois, l'objectif est le même : mobiliser les chercheurs pour trouver des solutions aux pénuries et pour moderniser l'industrie.
"Une figure se détache de cet establishment scientifique qui prospère sous l'Occupation : Alexis Carrel, médecin et physiologiste. Aussi brillant qu'arrogant, Carrel n'a que des ennemis, ou presque, dans les cercles scientifiques français. Il a fait toute sa carrière aux États-Unis, où il a même reçu son prix Nobel de 1912. Pourtant, en février 1941, Carrel revient en France. Vichyssois, il se laisse convaincre de lancer ce projet qu'il avait évoqué dans son best-seller, L'Homme cet inconnu, en 1935 : créer un « Aristote composite », un centre pluridisciplinaire où une « élite » chercherait à résoudre les problèmes humains, tous les problèmes humains, en faisant en sorte que les hommes et la société se conforment aux lois scientifiques supposées régir la vie. Sont ainsi convoquées, pêle-mêle, la médecine, la biologie, l'anthropologie ou l'économie, au service d'un idéal de régénération de la société française : « Il faut remplacer la démocratie par la biocratie, la science de l'homme », écrit Carrel à son frère en 1938. "Continuité à la Libération
"Ce projet rejoint celui du nouveau régime. Vichy s'inquiète de la mauvaise santé de la population française, vante la natalité, fait l'éloge des mères, veut réconcilier la communauté nationale en supprimant les classes sociales. Dotée d'un budget annuel de 40 millions de francs soit plus de la moitié de celui du CNRS !, la Fondation française pour l'étude des problèmes humains FFEPH se met à l'oeuvre en 1942. Nommé « régent » de la Fondation, Carrel entreprend de recruter quelque 250 chercheurs. Mais, malgré l'argent qui coule à flots, c'est l'échec. Miné par la maladie qui l'emportera un an après, Carrel avoue en 1943 que la Fondation ne compte pas plus de deux douzaines de vrais scientifiques : parmi eux, le sociologue Jean Stoetzel qui innove en appliquant la technique du sondage d'opinion à l'étude des causes de la dénatalité française, l'architecte Le Corbusier, le futur prix Nobel d'économie Maurice Allais ou encore la jeune pédiatre Françoise Dolto. Ces célébrités ne tireront par la suite nulle gloire de ce passage à la Fondation.
"Tentons un bilan. La frénésie scientifique de Vichy a-t-elle porté ses fruits en découvertes sonnantes et trébuchantes ? Difficile à dire, la période de la guerre n'ayant pas été assez longue pour que les travaux engagés alors puissent trouver leurs applications. En tout cas, l'oeuvre réformatrice de Vichy en matière de sciences ne sera pas remise en question à la Libération. Frédéric Joliot, nommé directeur du CNRS le 20 août 1944, en pleine insurrection de Paris, vante ainsi l'oeuvre de son prédécesseur Charles Jacob, qu'il associe au nouveau comité directeur du Centre. Toutes les institutions scientifiques créées par l'État français sont conservées par le gouvernement provisoire. Même la FFEPH, dissoute à la Libération, devient, dès 1945, un Institut national des études démographiques INED, qui existe toujours ; l'ORSC devient l'Orstom, puis l'actuel Institut de recherche sur le développement IRD en 1998 ; le Service de recherche et d'exploitation agronomique donne naissance à l'Institut national de recherche agronomique INRA en 1946. Le CNET ne devient France Télécom recherche et développement qu'en 1998. Quant à l'Institut français du pétrole, il existe toujours. Une continuité que l'on retrouve dans d'autres domaines. « Les hommes de Vichy travaillaient beaucoup et leur oeuvre législative est solide, même si elle était faite au service d'objectifs contestables », remarque l'historien Marc-Olivier Baruch. Au total, le tiers des actuels organismes publics de recherche a été créé par Vichy. Une filiation à l'évidence difficile à assumer : à en croire les historiques qui figurent sur leurs sites, l'Institut de la science et de la recherche médicale a été fondé en 1964, et l'Institut de recherche sur le développement en 1998 ! Vichy est bel et bien « un passé qui ne passe pas », comme aime à le dire l'historien Henri Rousso.
"Savants sous l'Occupation. Enquête sur la vie scientifique française entre 1940 et 1944 paraît début février aux éditions du Seuil. Nicolas Chevassus-au-Louis, auteur de cet ouvrage, y dresse le portrait de 12 scientifiques, tous représentatifs, à un titre ou à un autre, de cette sombre période. Des célébrités : Frédéric Joliot, incarnation de la résistance française à l'occupant, qui a cependant accueilli dans son laboratoire des chercheurs allemands. Des inconnus, aussi, tel Raymond Croland, thésard en microbiologie, mort en déportation à l'âge de 32 ans. L'ouvrage est riche de documents inédits, notamment des archives de l'épuration du CNRS, jamais ouvertes jusqu'alors."
Par Nicolas Chevassus-au-Louis