La politique pour l'Education nationale de l'Action française? Mais la voilà!

Publié le par Section de Bordeaux & Basse-Guyenne de l'Action française

On lira ci-après une passionnante interviouve de l'enseignant et essayiste de Gauche bien connu Jean-Paul Brighelli, auteur de La Fabrique du crétin et autres ouvrages, qui n'a pas vieilli. Dans le respect absolu de nos différences, la section de Bordeaux & Basse-Guyenne de l'Action française se déclare entièrement d'accord avec son analyse réaliste des maux dont souffre l'enseignement actuel et avec ses propositions concrètes pour ressusciter une élitisme scolaire profitant pleinement au peuple de France.

A.F.-Bordeaux & Basse-Guyenne

"Jean-Paul Brighelli est professeur en classes préparatoires. Il a publié plusieurs ouvrages pédagogiques à destination des lycéens et étudiants en lettres. Le grand public l'a découvert en 2005 grâce à la parution de l'ouvrage intitulé La fabrique du crétin, suivi ces dernières années par les livres A bonne école, Une école sous influence et Fin de récré. Dans ses ouvrages et sur son blog (bonnetdane.midiblogs.com), il cherche à déterminer "les dysfonctionnements de l'Education nationale", et tente de "donner des solutions pour une école de demain".

Voici les réponses qu'il a bien voulu nous faire parvenir par mail au questionnaire que nous lui avons adressé en août 2008 :

1) Jean-Paul Brighelli, qu'est-ce qui motive votre engagement contre l'état actuel du système éducatif ?

R: Le sentiment d’avoir été, et avec moi tous ceux de ma génération, un favorisé : favorisé par un système (celui des années 50-60) qui avait fait de l’élitisme républicain le moteur de l’ascenseur social (je sortais d’un milieu fort peu favorisé, comme je l’ai raconté dans la Fabrique du crétin, je vivais dans de grands ensembles – dans le XIIème arrondissement de Marseille – qu’on appellerait aujourd’hui criminogènes, nous étions très nombreux dans ma génération (et tant pis pour ceux qui croient que la massification est un concept moderne), mais l’Ecole – et rien d’autre – nous offrait une chance. La même chance qu’elle avait offerte dans les années 20-30 au petit Camus, enfant sans père, pauvre parmi les pauvres d’Alger. La méritocratie se combinait alors avec un enseignement de masse.

"Et j’ai réalisé, quand j’ai été nommé en ZEP vers la fin des années 80, que l’Ecole qui m’avait formé était sciemment détruite.

"Dans un premier temps, j’ai fait comme trop souvent les enseignants : j’ai travaillé dans mon coin, de mon mieux, pour former les élèves qui m’étaient confiés. Puis j’ai réalisé qu’il fallait se battre à une plus grande échelle.

2) Quelles sont les trois réformes concrètes que vous aimeriez voir mises en place dans l'Education Nationale ?

R: - La fin du collège unique : il est évident que l’égalitarisme qui le sous-tend a généré plus d’inégalités que l’élitisme le plus strict. Le fait que ces deux grands gauchistes qui avaient nom René Haby et Valéry Giscard d’Estaing en aient lancé l’idée et la réalisation aurait pu mettre la puce à l’oreille de toutes les belles âmes de gauche qui aujourd’hui en font l’alpha et l’oméga du système. Surtout, la fin du collège unique, combinée à une orientation intelligente, permettrait la revalorisation des sections techniques, trop souvent voies d’orientation par défaut. Je n’aurais rien eu contre l’actuelle réforme des Bacs pro, si en même temps le ministère avait eu le courage de créer, en amont, des préparations au BEP dès la fin cinquième, et, en aval, une sélection sérieuse qui permettrait effectivement aux meilleurs des bac-pro de s’inscrire et de suivre en BTS, jadis créés pour eux, et aujourd’hui trustés par les sections « classiques ».

- La suppression de la Seconde indifférenciée : il faut bien voir qu’on a pensé cette fausse solution quand on a fait – au début des années 80 – le bilan du collège unique : pour que tout le monde suive, on a baissé le seuil d’exigence au collège, on a donc imaginé une Troisième-bis pour opérer un tri qui se faisait autrefois au Brevet. Un tronc unique, avec des options sérieuses, en petit nombre : voilà le lycée le plus rationnel, à l’opposé de ce qui se prépare.

- Admettre une fois pour toutes que le Bac est un examen de fin d’études, et non le premier degré du Supérieur, et laisser en conséquence les facs opérer le tri qu’elles veulent – en fonction des résultats, et non du montant des droits d’entrée. De même, je ne conçois pas l’obtention de bourses sur un autre critère que le mérite – d’où ma proposition, dès A bonne école (et réitérée dans Fin de récré) d’une restauration de l’IPES, ce concours qui permettait aux meilleurs étudiants d’être payés à hauteur du SMIC durant leurs études, en échange d’un engagement à servir l’Etat dix ans.

3) Quels conseils adresseriez-vous aux jeunes professeurs qui effectueront leur première rentrée en septembre 2008 ?

R: Du passé faites table rase : oubliez les bons conseils des IUFM, et comptez essentiellement sur vos savoirs : ils sont très souvent la garantie du respect des élèves. Bien sûr qu’il y a des trucs pour se faire obéir d’une classe dans la première heure (et, conséquemment, dans les semaines et les mois à venir). Mais ne vous affolez pas, ça viendra (et, en cas, n’hésitez pas à demander à vos aînés : les profs restent trop souvent trop seuls). Il en est du métier de prof comme du permis de conduire : vous ne savez rien, ou pas grand-chose, quand vous venez de passer le CAPES ou l’Agreg. Il faut du temps pour faire un enseignant. Inutile donc de désespérer tout de suite. Nous avons tous fait des erreurs – et pendant plusieurs années. Et il est vrai aussi que certains se débrouilleront plus vite et mieux que d’autres : l’autorité naturelle, ça existe, je l’ai rencontrée…

4) Conseilleriez-vous aujourd'hui à un adolescent de devenir professeur ?

R: Certainement : quels que soient les rêves de restrictions budgétaires (donc, de postes) des imbéciles de Bercy (où se situe aujourd’hui le vrai ministère de l’Education – là et dans le bureau de quelques conseillers obscurs et idéologiquement suspects à l’Elysée), des dizaines de milliers de postes seront créés dans les cinq à dix ans à venir, du fait des départs à la retraite des profs du baby-boom. Evidemment, c’est un métier fatigant, peu considéré, et mal payé : mais nous l’avons cherché en acceptant dans les années 80 une dégradation massive. A nous d’arracher aux nouveaux édiles une revalorisation significative. Et il ne s’agit pas de travailler plus pour gagner plus : il s’agit de travailler mieux, et d’être payé en conséquence.

5) Selon vous, qu'est-ce que la "culture générale" ?

R: C’est l’addition d’une culture spécialisée et d’une connaissance honnête de tout le reste. Je dis « honnête » en ayant en tête le concept ancien d’honnête homme : ça n’a pas pris une ride, contrairement à ce que prétendent tous ceux qui affirment qu’une culture spécialisée suffit.

"Le résultat, c’est qu’un honnête homme oit avoir une conscience aiguë de ses ignorances : plus sa culture sera étendue, plus le point de contact avec ses manques sera multiple. Socrate et Pascal ont expliqué tout cela bien avant moi.

6) Vous tenez un blog depuis plusieurs années. Les dialogues que vous y entretenez vous ont-ils apporté des éléments de réflexion enrichissants ?

R: Certainement : mes livres doivent beaucoup aux propositions des uns et des autres. Il passe sur bonnetdane près de 40 000 visiteurs par mois : tous ne laissent pas une trace de leurs réflexions, mais les 10% qui postent leurs réflexions enrichissent le débat général. D’autant que mon blog est lu par des responsables gouvernementaux ou syndicaux : je ne dis pas qu’il a le pouvoir d’infléchir la politique en cours, mais il a au moins le mérite de donner le pouls de l’opinion enseignante. Que le ministère ne vienne pas me dire, en octobre, qu’il ne se doutait pas que la rentrée serait chaude : c’est écrit en toutes lettres dans tous les messages.

"Il est d’ailleurs significatif qu’un blog a priori professionnel soit, très souvent, un blog politique. Je tente de rester sur un fil fragile, entre l’horreur de la gauche « libérale » des Hollande, Royal ou Delanoë, et la répulsion de la droite ultra-libérale et religieuse : tous les conservatismes m’exaspèrent. J’espère que je ne suis pas le seul.

7) Ne pensez-vous pas que si les cours en fac sont moins exigeants qu'en prépa, c'est en partie à cause du nombre d'heures allouées? comment faire un cours vraiment fouillé en 14h de séminaire tandis que les profs de prépa voient leurs étudiants au moins 4 ou 5 fois par semaine et donnent des devoirs réguliers?

R: C’est un vieux rêve des facs de chapeauter les classes prépas – ou, pire, de les intégrer dans leurs propres structures. Question d’argent, essentiellement : un étudiant de fac coûte en moyenne 6000 € par an, un étudiant de prépas 12000 - mais un étudiant d’IUFM, 16000 : le rapport investissement / rendement ne me paraît pas bien évident, et il serait peut-être d’abord indispensable que les facs se débarrassent de tous les enseignements inutiles, voire nocifs. Est-il bien utile qu’une fac de Lettres enseigne autre chose que ce qui est enseigné en prépas littéraires ? Est-il indispensable que les notes de français soient compensées par les résultats de tam-tam (Avignon) ? Les facs disposent désormais, depuis la loi Pécresse, d’une grande autonomie financière. Qu’elles fassent leur examen de conscience, et investissent en conséquence. Les étudiants seront toujours libres d’aller dans une autre université.

"Les profs de fac ne cessent de clamer qu’ils sont là pour faire de la recherche. Fort bien : qu’ils cherchent (et, si possible, qu’ils trouvent) de leur côté, et que l’on confie à des enseignants spécialistes la formation des étudiants qui se destinent aux métiers de l’éducation.

"Par ailleurs, les étudiants eux-mêmes sont-ils bien disposés à travailler selon les critères des khâgnes ? Le (très) peu qu’on leur a demandé dans les années antérieures les prépare-t-il à un boulot de chaque instant ? Et ont-ils les bases nécessaires pour ne pas être largués ? On en revient toujours au même problème : la formation d’un niveau précis ne peut se définir que par rapport au niveau antérieur. Le collège d’aujourd’hui est le fruit du Primaire d’aujourd’hui, et ainsi de suite.

8) Ne craignez-vous pas, même s'il est vrai que l'exigence est importante, que le discours type "l'école publique est mauvaise, le niveau baisse" donne des arguments à des gouvernements de droite comme de gauche, pour dire que le service public est inefficace et donc favoriser le privé ? Si on dit que le niveau baisse, n'est-ce pas parce qu'on a enlevé beaucoup d'heures ? Et aujourd'hui on continue sur la lancée, il est question d'enlever des heures de cours en lycée, et mettre plus d'heures de soutien...? N'avez-vous pas peur de donner du grain à moudre aux adversaires du système éducatif public ?

R: C’est le risque. D’autant que l’on entrevoit, en ce moment, ce que je dénonce depuis toujours : la collusion de fait entre libéraux de droite et bonnes consciences de la gauche pédagogiste. J’expliquais dans la Fabrique du crétin que l’on pouvait lire, dans la baisse orchestrée du niveau, la réalisation du vieux rêve libéral : former le moins possible des employés qui n’auraient pas les moyens intellectuels de perdre leurs chaînes – ni même de les connaître. Dans les pires errances du pédagogisme, on voit à l’œuvre l’idéologie de l’ététement, de l’égalitarisme par le bas. Sous prétexte de rendre les élèves heureux (et ce que nous prépare Gaudemar va ostensiblement dans ce sens), on les prive des moyens d’accéder à la conscience. C’est d’autant plus paradoxal que l’Ecole de la république a été pour l’essentiel l’instrument de l’ascension sociale des classes moyennes. Une Ecole dévalorisée provoque une prolétarisation (évidente, en ce moment) des classes pour lesquelles elle travaillait. Bien entendu, les plus conscients, ou les plus riches, n’ont garde de mettre leurs enfants à l’école publique (voir Meirieu, qui a inscrit ses enfants dans le privé, alors même qu’il a écrit « Et nous mettrons nos enfants à l’école publique »). Faites ce que je vous dis… Et la réduction drastique des horaires va dans le même sens : les plus fortunés sauront toujours inscrire leurs enfants dans des cours particuliers, des séjours linguistiques, des écoles hors contrat (aujourd’hui en développement géométrique, et ce n’est pas un hasard).

"Il n’est pas indifférent que mes livres aient été célébrés par une extrême-droite nauséabonde (et par une droite qui souvent ne l’est pas moins). Mais après tout, Nietzsche a été revendiqué par les Nazis à son corps défendant. Et si nombre de gens de gauche m’ont assuré de leur soutien, il faut bien réaliser que la politique éducative du PS, depuis cette apocalypse molle que fut la loi Jospin en 89, a été contrôlée par ce que le pédagogisme a conçu de pire (Pierre Frackowiack, par exemple). Il y a certainement dans les faits une collusion entre les plus bêtes des socialistes et les plus retors des libéraux, exaltant, les uns et les autres, un usage de la démocratie qui marque, en fait, la fin de la République.

"Il est non moins évident que les problèmes de l’Education sont au premier chef des problèmes politiques. L’une des pires manœuvres réactionnaires, à droite comme à gauche, est de faire croire à une spécificité de la réflexion sur l’Education : l’Ecole n’est jamais que la métaphore de ce que l’on veut nous faire..."

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Source: http://www.neoprofs.org/t496-education-entretien-avec-jean-paul-brighelli

Pour en savoir plus:

1/ Sa réaction dure à la nomination du nouveau ministre de l'éducation nationale (septembre 2014):

http://www.lefigaro.fr/vox/societe/2014/09/01/31003-20140901ARTFIG00052-jean-paul-brighelli-on-a-fabrique-des-ghettos-scolaires-dans-des-ghettos-sociaux.php

2/ Son avis tranché sur le fond des réformes à mettre en œuvre (janvier 2015):

http://www.lefigaro.fr/vox/societe/2015/01/15/31003-20150115ARTFIG00410-brighelli-transformer-les-ecoles-supermarches-en-forteresses-de-l-intelligence.php