Le royalisme national, une solution d'avenir pour l'Action française?
Dans un Midi rouge largement indifférent à la Contre-Révolution, la fédération interprovinciale du Grand Sud-Ouest de l'Action française et ses sections locales (Bordeaux & Basse-Guyenne, Toulouse & Haut-Languedoc, Pau & Pyrénées et Bayonne & pays basque) doivent redoubler d'efforts et d'inventivité pour diffuser l'idée royaliste chez nos contemporains à un âge de dépolitisation généralisée. La pensée de l'abbé de Genoude, royaliste plébiscitaire de l'époque de la Restauration et de la Monarchie de Juillet, devrait les y aider, comme on le verra plus bas dans l'article de l'historien Michel Vivier, paru naguère dans Aspects de la France (l'actuelle Action Française 2000).
Bien que ses propositions audacieuses pour son temps n'aient pas été retenues par notre école, il faut reconnaître que, dans la contrefaçon de monarchie qu'est la Vème République, elles ont été mises en pratique d'une manière assez efficace et durable pour le Pouvoir. Notez bien qu'on ne parle pas ici de compromissions électoralistes avec tel parti d'extrême-Droite ou autre R.B.M. pour quelque strapontin, hein!
Et si l'alliance de la Monarchie héréditaire du Comte de Paris, Duc de France, et de son fils aîné François, Comte de Clermont, avec le suffrage universel et la démocratie représentative était la clé du relèvement de notre Pays? Et si de cette alliance du Peuple et du Roi pouvait naître un plus grand bien? Le Prince a l'air de le penser. Après tout, "Paris vaut bien une messe!", comme disait Henri IV! Ou un référendum! Nous, on dit ça, on dit rien... Aux contre-révolutionnaires de réfléchir... pour une fois!
A.F.-Bordeaux & Basse-Guyenne
"L’Abbé de Genoude, inspirateur de Lamartine et pamphlétaire royaliste
"Il y a cent soixante ans naissait à Montélimar celui qui allait devenir le fameux abbé de Genoude. Fameux sous Louis-Philippe, mais bien oublié aujourd’hui, les rues de nos villes n’ayant pas perpétué son souvenir comme celui d’un Ledru-Rollin et de tous les ancêtres grands ou petits de nos hommes en place… Pour sembler moins curieux que le cas de Laurentie - qui, né le 21 janvier 1793, lutta toute sa vie contre les conséquences de ce jour funeste en mettant sa plume au service du roi légitime - le cas de Genoude ne laisse pas de mériter l’attention. Cet homme nouveau, venu au monde l’an I de la République et élevé dans l’esprit du XVIIIe siècle, devait se faire un nom en répudiant avec éclat les idées que sa jeunesse avait reçues. Traducteur de la Bible - cette Bible que Voltaire avait tant moquée - il fut l’inspirateur du Lamartine chrétien. Mais c’est dans la presse qu’il s’illustra surtout : après comme avant la révolution de 1830, il anima de sa verve la très royaliste Gazette de France et son entrée tardive dans les ordres ne le détourna pas du combat politique. En ce mois de vacances, où l’actualité politique nous presse moins, j’aimerais rappeler à grands traits la vie exemplaire de ce vieux maître oublié.
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"Ses parent furent-ils cabaretiers, comme Larousse l’affirme ? Sortait-il d’une souche moins modeste et son anoblissement par Louis XVIII ne fera-t-il que consacrer l’ancienneté de sa maison ? Sur ses origines - comme sur celles de Rivarol - l’incertitude subsiste. Mais qu’importe ? Le jeune Eugène fut élevé comme les petits bourgeois d’alors. A Grenoble, où sa famille était venue s’installer, il apprit le latin et le grec - et chose plus rare : l’hébreu. Mais c’est Voltaire et les Encyclopédistes qui furent ses auteurs de chevet : ses professeurs ne juraient que par eux et leurs thèses avaient imprégné l’air du temps. Il l’écrira plus tard : « Je n’ai pas entendu un mot alors qui me donnât une idée des mystères et des preuves de la religion. La philosophie matérialiste du XVIIIe siècle régnait dans le gouvernement et dans les moeurs. Les hommes géométriques qui avaient alors la parole souriaient dédaigneusement quand ils prononçaient les mots : enthousiasme, religion... » Au temps de ses études de droit il s’éprend de Rousseau qui le libère partiellement de l’athéisme en lui révélant une certaine religiosité, vague et confuse encore. Lui aussi, promeneur solitaire, il parcourt à pied vallées et montagnes. Mais il ne se doute pas qu’il va trouver parmi les routes du Dauphiné son chemin de Damas. Un jour, s’arrêtant par hasard au presbytère de Saint-Ferjus, il s’entretient longuement avec le curé qui lui prête des livres : Bossuet, Fénelon, la Bible. Etranges nouveautés que ces « vieilleries » ! La lecture des livres saints l’illumine : « La Bible, dira-t-il, me mettait en communication avec Dieu lui-même. » L’année suivante il part pour Paris et c’est dans une chapelle de Saint-Sulpice qu’à l’âge de dix-neuf ans il communie pour la première fois. Jour inoubliable : « C’est de là que date pour moi le désir de vouer ma vie au Sauveur. »
"Nommé grâce à Fontanes professeur au lycée Bonaparte, il emploie ses loisirs à traduire Isaïe. Mais les versets contre le roi Assur inquiètent la censure impériale et la traduction est interdite. C’est pour Génoude une raison supplémentaire d’applaudir à la chute de l’Empire. Pendant les Cent Jours, il passe en Piémont où il devient le secrétaire de M. de Polignac. A son retour il prend possession de Grenoble au nom de Louis XVIII et réussit à empêcher les troupes étrangères d’entrer dans la ville. La Restauration le nomme maître des requêtes au Conseil d’Etat et il commence à fréquenter les salons royalistes où il rencontre M. de Bonald. Sa traduction d’Isaïe a paru en 1815. Job et les Psaumes paraissent en 1818. L’année suivante, il fait ses premières armes de journaliste au Conservateur de Chateaubriand, sans cesser de poursuivre sa traduction de la Bible. Celle-ci, achevée en 1825, va connaître le plus vif succès. A en croire Lamartine, « M. de Genoude est le premier qui ait fait passer dans la langue française la sublime poésie des Hébreux : grâce à lui, l’expression, la couleur, le mouvement, l’énergie (de la Bible) vivent aujourd’hui dans notre langue. »
"Cet hommage-là n’était que trop juste. Dans un remarquable article paru naguère aux Etudes, M. Claudius Grillet a rappelé tout ce que Lamartine devait à Genoude (1). Sans doute s’étaient-ils rencontrés dès le printemps 1817, chez Mme Charles, à l’Institut ou dans les salons du duc de Rohan. Ils se lièrent bientôt d’amitié et Lamartine évoquant plus tard ce jeune homme qui traduisait la Bible : « il arrivait chez moi le matin - écrit-il - les épreuves de sa traduction à la main et je lui en faisais lire des fragments qui me révélaient une région plus haute et plus merveilleuse de la poésie. » Cette révélation fut capitale pour le jeune poète. Aux accents profanes du Lac et du Golfe de Baïa vont succéder de plus hautes « harmonies ». Comme l’écrit M. Grillet, Lamartine troque la guitare pour la harpe. « Les contemporains, ajoute-t-il, s’attendaient sans doute à retrouver dans ses vers un simple écho des Parny, des Chénier, des Millevoye, ou les variations connues sur l’amour et la mort. Or voici l’œuvre inattendue. Inattendue. Job y aura collaboré très largement. »
"Inspirateur des Méditations, Genoude en fut aussi le parrain et le préfacier. C’est lui qui leur trouva un éditeur et qui contribua le plus à leur succès triomphal dans la presse et dans les salons. Plus tard, c’est lui encore que Lamartine chargera de faire éditer les Nouvelles Méditations et la Mort de Socrate. C’est lui qui veille aux intérêts moraux et matériels du poète et M. Grillet l’appelle fort bien son « intendant littéraire ». Il fut en tout cas le modèle des amis et l’on comprend mal la réserve de Lamartine écrivant plus tard : « Nous nous liâmes d’une certaine amitié », ou plutôt on la comprend fort bien si on évoque la carrière politique des deux amis et si on oppose à l’évolution républicaine de Lamartine la fidélité légitimiste de M. de Genoude.
"Après la Révolution de Juillet, deux journaux seulement restèrent fidèles à la dynastie vaincue : la Quotidienne de Michaud, où vont s’illustrer Nettement et Laurentie, où Balzac écrira - et la Gazette de France, qu’assisté de Lubis et Lourdoueix, dirige M. de Genoude. Dans les années suivantes, la presse légitimiste s’enrichira de nombreux titres parmi lesquels il faut au moins citer La Mode, le spirituel hebdomadaire d’Edouard Walsh. Mais les deux organes que j’ai dits furent les seuls quotidiens de Paris à mener la lutte dix-huit années durant contre la dynastie nouvelle et les ministres du « Juste-Milieu ». Ni les rigueurs du pouvoir, ni ses appâts n’eurent raison de son intransigeance. Amendes et prisons ne leur furent pourtant pas épargnées, et M. de Brian, gérant de la Quotidienne se trouvait moins souvent dans son bureau, rue Neuve-des-Bons-Enfants, qu’en villégiature à Sainte-Pélagie. Quant à M. de Genoude, il fut même inculpé de complot contre la sûreté de l’Etat.
"D’accord sur l’essentiel, les deux journaux sont pourtant séparés par des nuances importantes. Sous la Restauration déjà, ils ont incarné au sein du parti ultra deux tendances opposées. La Gazette a soutenu sans réserve la politique de Villèle, tandis que Michaud et ses amis, jugeant ce ministre trop modéré, ont appuyé contre lui Chateaubriand, puis inspiré cette opposition d’extrême-droite qu’on appelle « la défection » ; quand arrivèrent aux affaires MM. de Polignac et La Bourdonnaye, ils purent croire un temps leurs idées au pouvoir. Genoude, au contraire, n’appuya que mollement Polignac. Après 1830, la Quotidienne refusant de jouer le jeu constitutionnelle représente à l’intérieur du parti la faction militaire, celle qui place tous ses espoirs dans un 20 Mars monarchique. La Gazette, elle, ne croit pas aux complots et s’efforce de convertir à la bonne cause une partie de ceux qu’avaient séduits les idées libérales ou « nationales » de l’ancienne opposition. Hostile aux jésuites et aux gens de cour, ne craignant pas les innovations, parlant un langage démagogique, la Gazette s’efforce de rallier la Jeune France au jeune Roi. Aussi s’insurge-t-elle quand les rédacteurs de la France, inspirés par le duc de Duras, nient la validité des abdications de Rambouillet et affirment qu’avant Henri V doit régner Louis XIX (2). Malgré Nettement qui démissionne, la Quotidienne ne proteste pas et l’on voit dans Lucien Leuwen ses lecteurs de Nancy faire des voeux pour le retour de Louis XIX.
"Avec l’échec des complots qui amène le parti à ne plus faire fi des armes légales, avec l’effacement du duc d’Angoulème qui fait d’Henri V le seul prétendant légitime, ces querelles s’apaiseront. Mais d’autres vont surgir et même quand les deux journaux fraternisent, la Quatidienne met volontiers l’accent sur l’autorité et la hiérarchie, tandis que la Gazette, pour rallier les gens de gauche, affirme que les royalistes sont plus que les libéraux favorables à la liberté. Comme le dit Mme de Genoude, de ces deux journaux qui propagent « la vrai foi », l’un est « l’apôtre saint Pierre », l’autre « l’apôtre saint Paul ». Mais dans son effort pour convertir « les gentils », M. de Genoude ne se contentera pas de multiplier à travers le territoire les Gazettes provinciales et de publier sans trêve des ouvrages et brochures de propagande. Il va fonder lui-même, au prix d’énormes sacrifices, un journal de gauche, La Nation, qui se produit sous les auspices de MM. Arago, Laffitte et Chateaubriand. L’accord de La Gazette et de La Nation, écrit Hatin (3), devait donner une image de la réconciliation du principe de liberté avec le principe d’autorité, ce qui fit dire que M. de Genoude, pour tout finir, avait mis sa main gauche dans sa main droite. Mais La Nation n’eut qu’une existence éphémère. Et La Gazette seule continua à prôner l’alliance carlo-républicaine et à protester au nom des droits de tous contre le Parlement censitaire.
"Telle fut en effet la grande idée de Genoude, celle qui le fit appeler « le Lamennais du royalisme » et qui fit interdire son journal dans la plupart des royaumes d’Europe : l’union du suffrage universel et de la monarchie légitime. Déjà au temps de la Chambre introuvable, les ultras avaient demandé que le cens électoral fut abaissé à 25 francs, tandis que les libéraux voulaient le maintenir à 300. En 1830 - Bainville l’a remarqué - il est fort probable que Charles X eut conservé son trône s’il eut accordé à tous les Français le droit de suffrage : les masses paysannes restées loyalistes eussent alors submergé de leurs votes la minorité ouvrière et bourgeoise hostile au gouvernement... En 1840, on disait de Genoude : « vous croyez donc la République nécessaire à la restauration d’Henri V ? » Maurras estime que le calcul n’était pas si faux. En 1850 comme en 1871, le suffrage universel créa une sorte de « démocratie blanche » qui faillit bien restaurer le Roi légitime.
"Où Genoude avait tort, c’est quand il souhaitait que le suffrage universel se prononçât régulièrement sur les grandes affaires de l’Etat. Qu’ils soient d’origine populaire ou privilégiée, les parlements, en France, ont toujours une action néfaste. S’il est juste que tous les citoyens, y compris les plus pauvres, fassent entendre leur voix dans tous les domaines où ils sont compétents, la haute politique doit rester le domaine exclusif du Roi. Détail piquant, ce promoteur du suffrage universel que le collège censitaire de Toulouse avait, en 1846, envoyé à la Chambre, ne réussit pas, en 1848, à se faire élire représentant du peuple. Il mourait l’année suivante, assez tard pour avoir applaudi à la chute de Louis-Philippe, trop tôt pour déplorer l’échec de la Restauration et le coup du 2 Décembre. Dans les derniers mois de sa vie, il avait pris pour secrétaire un tout jeune homme qui s’appelait Gustave Janicot. Et cinquante ans plus tard, Janicot accueillait à la Gazette un jeune qui s’appelait Charles Maurras. Ainsi se noue la chaîne...
"Il ne convient certes pas de mettre l’abbé de Genoude au rang des maîtres de la contre-révolution, car sa lucidité ne le garde pas toujours des erreurs romantiques et libérales de son temps. Lui aussi avait mieux lu Chateaubriand que Bonald. Il me plaît pourtant de saluer avec un affectueux respect la mémoire de ce chrétien et de rappeler à tous ceux qui poursuivent son combat son exemple et de sa fidélité."
(1) « Genoude et Lamartine » par Claudius Grillet, dans Les Etudes du 5 avril 1936.
(2) Cf. Edmond Biré : Alfred Nettement et la Presse royaliste de 1830 à 1850.
(3) Hatin : Histoire de la Presse en France (tome VIII).
Aspects de la France, 1952