Claire Mazeron: Il faut défendre l'école!
Je voudrais commencer par donner quelques chiffres qui pourraient laisser penser que l'école a relevé le défi de la démocratisation :
− en 1970, 20% d’une génération avait le baccalauréat. En 2005, le chiffre est passé à 62,5%.
− le taux de réussite bac était de 60% en 1960, il est de 82% aujourd'hui.
− en 1985 : 50% des élèves d’âge théorique en seconde contre 67,5% en 2005.
Pour autant, la massification n'a mené ni à la démocratisation, ni à l'élévation du niveau de compétences.
a. Massification sans démocratisation
En 2004, les cadres représentaient 11% de la population française mais 47% des étudiants des grandes écoles étaient des enfants de cadres. Les enfants d'ouvriers, eux, représentaient 3% de ces mêmes étudiants, alors que les ouvriers comptaient pour presque un quart de la population française.
En 2005, on notait 15 points d’écart aux évaluations de 6ème entre enfants de cadres et d’ouvriers.
Les chiffres se sont dégradés depuis 40 ans.
b. Diplômation sans qualification
Rapport H.C.E. 2007 : 40% d’élèves sortant de C.M. 2 ne seraient pas en mesure de suivre une scolarité au collège dans de bonnes conditions.
Rapport D.E.P.P. - janvier 2009 : en lecture, deux fois plus d’élèves de C.M. 2 (21%) se situent au niveau des 10% les plus faibles en 1987.
Classement P.I.S.A. 2003 :

Troisième paradoxe : alors qu'on parle sans arrêt de « valeurs citoyennes » à l'école, il n'y a jamais eu autant d'actes violents.
2. C’est la faute à…
a. ...pas assez de moyens ?
C'est ce dont le P.S. a fait son cheval de bataille depuis des années. Or, entre 1973 et aujourd'hui, les moyens ont été multipliés par 2. La France dépense bien davantage pour les élèves du primaire et du secondaire que la majorité des pays de l'O.C.D.E.


b. ...l’évolution de la société ?
On invoque souvent la responsabilité des jeux vidéos, de la télé, du chômage, des parents, ou même une « incompatibilité culturelle »...
c. ...aux « pesanteurs scolaires » : élitisme républicain et professeurs d’un autre âge ?
L'échec scolaire serait dû à plusieurs facteurs : des programmes trop chargés, des horaires trop lourds, les redoublements, la sélection, les méthodes trop directives des professeurs ou encore leur obstination à enseigner leur discipline...
3. Vrais problèmes, fausses solutions : de l’égalité à l’égalitarisme
a. Céder à la société
On peut noter plusieurs dérives, qu'il s'agisse de
− succomber aux modes : les T.I.C.E. (technologies de l'information et de la communication dans l'éducation) sont servies à toutes les sauces. Certes, elles sont un outil intéressant, mais pas une fin ni un objectif en soi.
− s’adapter aux comportements violents voire les tolérer, au point que certains établissements sont devenus des zones de non droit.
− faire entrer les parents à l’école, ce qui fait entrer la société à l'école et éclater son cadre. Les établissements n'ont pas à s'adapter localement et à répondre aux demandes des parents.
− faire éclater le cadre national de l’enseignement.
b. Repenser les exigences
Un certain nombre de réformes et de mesures contribuent à casser l'école :
− la révision à la baisse des programmes et des contenus d’examen. Par exemple, la grammaire et l'orthographe ne donnent plus lieu à aucune évaluation ni sanction.
− les quotas de réussite fixés à l’avance et l'institutionnalisation du «passe-dégage », tout comme la « remédiation perpétuelle », qui ne font qu'abaisser le niveau d'exigence et font en sorte que plus aucun élève ou presque ne redouble quel que soit son niveau.
− la révision des « rythmes scolaires ». On cherche systématiquement d'autres modèles jugés moins harassants ou plus propres à l'épanouissement. Le système allemand fait aujourd'hui figure de modèle, alors même que l'Allemagne est précisément en train de le remettre en question.
− le type d'évaluation préconisé : on n'évalue plus les connaissances mais les « compétences ». Le socle commun défini par le ministère demande d'évaluer non plus des savoirs ou des savoir-faire mais des « savoir-être ». Désormais, ce qui compte est de faire preuve d'esprit d'initiative ou de savoir travailler en groupe, concepts qui nous viennent droit du monde de l'entreprise.
c. Changer le métier de professeur
Il est grand temps de redonner au professeur le rôle qui lui revient, à savoir d'instruire, de transmettre des savoirs et des savoir-faire.
− la promotion des « méthodes actives » et des pédagogies constructivistes fait de l'élève l'artisan de sa propre éducation : on lui demande de construire le cours tout seul.
− le développement de l’inter/pluri/trans-disciplinarité casse les compétences propres aux professeurs : ces derniers se voient sommés de faire des « projets » fourre-tout, où il s'agit d'enseigner tout en même temps, la géographie et les sciences par exemple.
− l'enseignant a été transformé en animateur socio-culturel sans compétence disciplinaire particulière – avec horaire et salaire en conséquence...
− le professeur est mis au pas via l’autonomie de l’établissement et le conseil pédagogique, qui accordent davantage de place et de crédit aux chefs d'établissement, aux personnels de l'éducation et aux parents quand il s'agit de juger de l'acquisition des savoirs.
Conclusion : fin de l’Ecole républicaine, hasard ou complot ?
• Une alliance contre-nature
• Le risque libéral, la charité contre l’égalité
L’opportunité républicaine, le choix de la transmission et de l’exigence, demeure la seule issue. Contrairement à ce que préconisent des associations telles qu'S.O.S. Education ou Créer son école, l'école républicaine fonctionne et le salut ne viendra pas de son démantèlement.
N.D.L.R.: Claire Mazeron est professeur agrégé de géographie et Vice-Présidente du S.N.A.L.C. (Syndicat national des lycées et collèges). Membre du jury du C.A.P.E.S., elle siège également au conseil supérieur de l'éducation. Elle est l'auteur d'une Autopsie du Mammouth - L'éducation nationale respire-t-elle encore ?, Paris, Jean-Claude Gawsewitch éditeur, 2010.