DES DISSIDENTS QUI DERAILLENT

Publié le par Fédération Aquitaine-Grand Sud-Ouest

25 septembre 2000.

 

DES DISSIDENTS QUI DERAILLENT

 

Vue de l’extérieur, la crise qui a surgi en octobre 1997 à l’Action française est parfois considérée comme une querelle de personnes. C’est là ignorer le fond du différend qui a amené la rupture. Certes, il y a eu la volonté d’un certain nombre de membres du Comité directeur, conduits par Xavier de Mello et Hilaire de Crémiers, de contraindre Pierre Pujo à arrêter la publication du journal sous prétexte de la situation financière périlleuse dans laquelle celui-ci se trouvait. Pierre Pujo ayant refusé, ils ont rompu avec lui.

 

Certes également, Hilaire de Crémiers, nommé par Pierre Pujo délégué général de la Restauration nationale, ne s’est pas contenté de ce titre, mais a rejeté l’autorité du président du Comité directeur de l’Action française car il voulait être lui-même le chef de l’Action française. Il a alors manœuvré pour s’emparer frauduleusement du mouvement d’A.F., la Restauration nationale, en détournant de son rôle l’association déclarée à ce nom qui n’était qu’une facade juridique.

 

Cependant, entre l’Action française et la Restauration nationale, désormais dirigée par Hilaire de Crémiers, il y a des divergences de fond de plus en plus évidentes qui touchent à la stratégie politique.

 

Le combat nationaliste

 

Le programme de l’Action française se résume traditionnellement par la formule Sauvegarder l’héritage, ramener l’héritier. Hilaire de Crémiers renonce au combat nationaliste : pour lui il n’y a pas « urgence » à se battre pour défendre la souveraineté de la France. S’engager dans ce combat, c’est se livrer, selon lui, à une « agitation » stérile qui ne sert que les ambitions électorales des républicains : on deviendrait, ainsi, leurs supplétifs.

 

H. de C. condamne dans la foulée, le compromis nationaliste, c'est-à-dire l’alliance des royalistes avec les républicains patriotes pour parer aux dangers immédiats qui menacent le pays. Que la France soit actuellement en danger de disparaître au sein d’un Europe supranationale bientôt dominée par l’Allemagne, cela lui importe peu. Les gens d’A.F. doivent rester des « purs » et ne se commettre ni avec des républicains, ni avec des gaullistes !

 

H. de C. détourne ses amis de toute action militante. Sa politique pourrait être qualifiée de « non-assistance à nation en danger ». Il soutient que seule la Monarchie assurera l’avenir de la France et lui rendra sa grandeur. C’est exact, mais, en attendant, il s’enferme dans une sorte de secte, en refusant toute alliance avec des républicains patriotes et en se livrant à des incantations pour appeler de ses vœux une restauration monarchique. La monarchie n’est pas une doctrine abstraite dont il suffit de rappeler les principes pour qu’un jour elle tombe du Ciel et soit restaurée dans sa majesté. Elle ne peut revenir en France que poussée par un courant nationaliste (c’est-à-dire de défense de la nation française) dont la conclusion nécessaire (le nationalisme intégral) est la restauration de la monarchie. Séparer le nationalisme du royalisme, c’est le priver de ses fondements les plus sûrs à notre époque, c’est revenir à la situation du royalisme avant l’Action française, quand celui-ci ne reposait que de vieilles fidélités ou sur des choix arbitraires.

 

H. de C. ne conçoit l’action politique que sous forme d’un réseau de cercles dont les membres se réunissent en congrès tous les ans. Il rejette toute action sur le terrain. Le compromis nationaliste n’est pour lui que compromission.

 

Ce faisant, H. de C. renie cent ans de combats où l’Action française n’a cessé d’être à la pointe de toutes les luttes nationales. Elle a exercé constamment une mission de vigilance nationale, dénonçant les fautes commises par les gouvernants, les avertissant aussi des fautes à ne pas commettre, soutenant les initiatives des hommes politiques qui servaient l’intérêt national, recherchant l’alliance des patriotes par-delà les partis face aux dangers les plus pressants. Sans doute l’A.F. n’a-t-elle pas rétabli la Monarchie, mais elle a préparé les voies à une Restauration en détruisant la République dans les esprits. Il n’a pas dépendu d’elle que la Monarchie soit restaurée à certains moments où le sort de la France a paru vaciller.

 

H. de C., en condamnant par principe, toutes les initiatives des politiciens républicains, renonce à l’analyse attentive des faits que Maurras nous a enseignée. Elle consiste à démêler ce qui par exemple est bon dans les intentions ou dans telle mesure prise mais qui est compromis par l’ambition personnelle et surtout par les vices du régime électif. H. de C. renonce à pratiquer l’empirisme organisateur au profit d’une attitude de théoricien dogmatique, jouant au prophète qui annonce le retour prochain de la monarchie. Ce n’est pas là la méthode de Maurras. C’est à partir de l’analyse attentive, serrée de évènements que Maurras a fait son œuvre de une formidable démonstration de la nécessité de la monarchie. Voilà comment l’A.F. a recruté de nouveaux royalistes et fortifié sans cesse leurs raisons.

 

L’Action française doit demeurer fidèle à sa méthode politique, à son esprit, à sa stratégie, sinon elle ne serait plus qu’une association d’anciens combattants, une secte ou encore un mouvement activiste promis à être englouti rapidement dans les turbulences de la vie politique. Elle doit continuer, plus que jamais, à rechercher le compromis nationaliste, sans rien aliéner de ses idées, ni de son indépendance, bien entendu.

 

La Maison de France

 

Un autre point constitue une divergence de fond entre l’Action française et la Restauration nationale : l’attitude à l’égard des princes de la Maison de France.

 

Les relations entre l’A.F. et le chef de la Maison de France ont connu naguère des vicissitudes avec des périodes de plein accord mais aussi d’autres où des malentendus sont survenus.

 

Depuis le début des années 80, où Pierre Pujo a eu de nombreuses occasions de s’entretenir avec le Comte de Paris défunt, ces relations se sont normalisées sur la base  d’une indépendance réciproque, ce qui empêchait pas des contacts réguliers et même la participation de l’A.F. à certaines initiatives du Comte de Paris. En décembre 1985 Pierre Pujo exposa cette idée d’une indépendance réciproque dans un dîner au Cercle militaire en présence du Comte de Paris, et le Prince voulut bien ajouter ensuite : « Vous avez parfaitement compris ma pensée. »

 

Or l’attitude d’H. de C. comporte à ces égards des aspects troublants. D’une part, il ne s’est pas rendu à la réception d’Amboise organisée le 17 juin 2000 pour son anniversaire par Mgr le Comte de Paris, Duc de France, alors que celui-ci l’y avait expressément convié en lui demandant d’y faire venir ses amis. H. de C. s’est alors contenté d’y envoyer une délégation de cinq personnes…

 

Un royaliste ne peut se dérober lorsqu’il reçoit du Prince une invitation.

 

D’autre part, H. de C. se présente partout comme le porte-parole de S.A.R. le duc de Vendôme, l’accompagne lors de ses voyages et rend compte longuement de ceux-ci dans son bulletin. Nous nous réjouissons que le futur chef de la Maison de France se fasse ainsi mieux connaître des Français et acquière une expérience internationale. Mais il ne paraît pas souhaitable qu’un mouvement politique quelconque tente d’accaparer le dauphin. Il convient de respecter l’indépendance des princes.

 

Les princes et l’Action française agissent chacun de leur côté. Ils ne se situent pas sur le même plan. Les actions des uns et de l’autre sont complémentaires. Ainsi les princes n’ont pas à s’engager dans le combat politique quotidien comme le fait l’Action française. Toute confusion entre le rôle des uns et de l’autre ne peut conduire qu’à de fâcheux malentendus.

 

En conclusion, il est clair que si Hilaire de Crémiers était demeuré à l’Action française depuis trois ans, nous aurions été en désaccord sur deux sujets essentiels : le combat contre l’Europe supranationale et l’attitude à avoir vis-à-vis des princes de la Maison de France.

 

Pierre PUJO.

 

P.S. Ajoutons que Hilaire de Crémiers a donné naguère une interprétation complètement fantaisiste du Chemin de Paradis ainsi que des poèmes de Charles Maurras. Il présentait notamment Le Chemin de Paradis comme le maître-livre de l’enfant de Martigues. Or cet ouvrage n’est qu’une étape dans la pensée de Maurras, laquelle, alors, n’était pas encore complètement élaborée. Il est totalement erroné de vouloir en faire le livre-phare de l’Action française, fondée bien des années plus tard. Maurras lui-même n’a jamais voulu le considérer ainsi.