L'Action française et le traditionalisme catholique
Nous avons jugé intéressant d'offrir à nos lecteurs, en en soulignant les passages essentiels, le texte suivant, qui, paru dans Aspects de la France en 1984, n'a pas pris une ride. Il traite en détail des objections communément opposées par certains catholiques traditionalistes à l'Action française.
A.F.
La crise qui, à la suite du Concile Vatican II, secoue l’Eglise catholique est assurément sans précédent. Il était donc normal, il était sain, il était nécessaire que des catholiques conscients de leur formation et désireux de sauver leur âme et celles de leurs enfants, s’organisent pour sauver de la débâcle tout ce qui pouvait l’être en attendant que Rome juge le temps venu de redresser fermement la barre. Ainsi sont nées ces dernières années de très nombreuses associations se donnant pour but d’aider à la sauvegarde de traditions essentielles : la messe, les sacrements, les séminaires, le catéchisme, l’école catholique… etc. La plupart gravitent autour de l’œuvre de Mgr Lefebvre, d’autres s’en écartent pour des raisons qui leur sont propres, mais toutes se placent essentiellement sur le terrain religieux.
Entre aussi dans le cadre de cet exposé la Contre-Réforme Catholique, bien qu’elle se distingue des associations catholiques en ce sens que son chef, M. l’Abbé Georges de Nantes, s’attache plus à la Tradition doctrinale qu’aux traditions elles-mêmes et place son action à la fois sur le plan religieux et sur le plan politique.
Beaucoup de membres de ces différentes associations sont des amis de l’Action française. Mais il y en a aussi qui ne nous aiment guère ou qui, tout au moins, nous soupçonnent de naturalisme parce que nous disons « Politique d’abord ». Enfin, parmi nos amis qui ont un pied l’une ou dans l’autres de ces associations, il en est qui sont tentés d’y mettre les deux pieds, pensant qu’il est aujourd’hui plus urgent de donner leur temps, leurs forces et leur argent à des œuvres de renaissance catholique que de travailler à la restauration de la Monarchie qui, pensent-ils encore, ne se fera que lorsque la France sera redevenue chrétienne.
Il importe donc, à l’égard des uns et des autres, de préciser la position de l’Action française, son originalité, son caractère irremplaçable dans le combat contre-révolutionnaire.
Nos devoirs envers la nation
D’abord, un rappel de simple bon sens : nul n’a le droit, pour quelque raison que ce soit, de se soustraire à ses devoirs envers la nation. La nation est un héritage dont chaque génération est responsable devant les générations suivantes. Notre simple « vouloir-vivre », le souci de la continuité de nos œuvres et de la pérennité de nos familles doit obligatoirement nous amener à rechercher dans l’expérience des siècles les grandes lois qui ont maintenu la France dans son être intégral et qui peuvent aujourd’hui dicter une action de salut public. C’est là la seule, mais la très noble raison d’être de l’Action française, qui rassemble sur le terrain de la défense de la nation tous ceux qui se savent unis au sein de celle-ci dans une communauté de destin : des catholiques certes, mais aussi des Français d’autres religions ou même d’aucune religion. Car Maurras nous l’a fort bien expliqué : depuis la rupture au XVIème siècle de l’unité chrétienne, il n’y a plus rien qui puisse, au temporel, servir de cadre aux ententes humaines, amener les hommes à surmonter leurs individualismes en vue d’un bien qui les dépasse, plus rien si ce n’est la nation.
Cette obligation d’être nationalistes et de travailler sur le plan politique au rassemblement des Français pour la défense de la nation n’est pas une simple obligation morale. Elle est inscrite dans notre nature même de Français héritiers d’un grand passé. Et surtout elle est inscrite dans le Décalogue où le IVème commandement : « Tes père et mère honoreras » dit très nettement ce qu’il faut faire pour que les familles et les sociétés vivent « longuement ».
Donc, premier point : l’Action française, en s’attachant coûte que coûte, à la défense de la nation, n’est ni impie, ni « naturaliste », elle ne fait que son devoir.
Le combat prioritaire
Se pose maintenant la question de savoir si, alors que s’effondrent toutes les valeurs religieuses, morales, familiales, culturelles… etc., ce combat pour une politique au service de la France reste prioritaire.
Je répondrai sans hésiter : oui, plus que jamais !
Il est clair que la République mène la France à sa perte, et la crise vers laquelle nous allons aujourd’hui risque d’être décisive. Ne pas consacrer l’essentiel de nos forces à intensifier la propagande pour, le jour venu, saisir l’occasion d’imposer la seul régime qui a su unir et faire prospérer la France, c’est-à-dire la Monarchie, ce serait de notre part une désertion.
Bien sûr, les conditions d’une véritable restauration de la France en son être intégralement catholique ne sont pas réunies. C’est probablement ce qui fait refuser par certains traditionalistes notre « Politique d’abord ». Reconnaissons que cette situation est dramatique : en se déchristianisant, les Français ont perdu le sens du sacré et ce n’est pas le clergé « conciliaire » qui peut le leur rendre. Mais si, pour agir sur le plan politique, nous devions attendre que la France ait été rechristianisée, que les évêques aient renoncé à toue démagogie et que le Prince lui-même soit à cent pour cent selon nos désirs, il n’y aurait peut-être jamais plus de France chrétienne, car il n’y aurait plus de France du tout. Quand un homme est en danger de mort, est-ce qu’on attend que soit venu le prêtre pour appeler le médecin ? Puisque nous savons par expérience que nous pouvons sauve la France en la débarrassant du système électif, il faut immédiatement préparer le rétablissement de la Monarchie, – et avec le Prince tel qu’il est (et nous savons qu’il est parfaitement conscient de sa mission).
Monseigneur le Comte de Paris, Duc de France, Prétendant au Trône sous le nom de Henri VII (photo D.R.)
Donc n’attendons plus : il faut tout de suite mener une action politique et parler le langage politique qui, pour réussir, puisse être compris par tous ceux qui parlent encore français, qui agissent en Français, qui aiment la France, qu’ils soient catholiques ou non. N’abandonnons jamais nos devoirs envers une France qui chancelle et qu’il faut maintenir envers et contre tout, même avec des Français qui ne partagent pas notre foi.
L’A.F. se suffit à elle-même dans son ordre
Il faut maintenant insister, à l’intention de ceux qui pourraient avoir encore quelques scrupules, sur le fait de notre combat, même essentiellement politique, a une immense portée spirituelle et qu’il contribue – je vais même jusqu’à dire qu’il est indispensable – à la restauration des valeurs morales. Et cela, de plusieurs façons :
D’abord, parce que notre effort pour retrouver la tradition française nous fait inévitablement rencontrer le catholicisme romain. Celui-ci a joué un rôle déterminant dans la formation de la France et nous en restons imprégnés, que nous le voulions ou non. L’Action française non seulement respecte mais admire la religion catholique. Vous savez en quels termes Charles Maurras en a parlé dans l’introduction de son livre La Démocratie religieuse : il l’aimait non seulement parce que elle est un élément de l’héritage, mais parce qu’elle est l’Ordre, l’« Eglise de l’Ordre » – et pas seulement un élément social, mais aussi l’ordre dans touts ses éléments : la soumission de la partie au tout, du sentiment à la raison, de l’individu à l’espèce ; parce qu’elle met, par son enseignement, chaque chose à sa place dans l’ordre du monde… Il est indéniable qu’en faisant aimer ainsi la religion catholique dans toute sa tradition, l’Action française amène les Français de tous horizons à considérer objectivement que cette religion est le bien, et cela a préparé plus d’un à reconnaître qu’elle est le vrai.
En outre, la méthode qui est la nôtre, l’empirisme organisateur, et qui consiste à rechercher l’expérience des siècles les grandes lois de l’ordre naturel, participe, que nous y pensions ou non, de l’objectivité catholique : les lois que nous découvrons sont les lois naturelles voulues par Dieu pour l’ordre de sa Création. Il va sans dire que la vérité politique que nous dégageons met sur la voie de la Vérité tout court.
C’est pourquoi il ne faut pas croire que l’Action française soit indifférente à la crise actuelle de l’Eglise, même si, en tant que telle, elle n’a pas à s’immiscer dans les querelles théologiques ou liturgiques, ni à juger du bien-fondé des tels jugements portés par tels orateurs ecclésiastiques sur les actes du Pape en matière religieuse. Et ceux qui me lisent depuis douze ans savent que je ne suis pas tendre pour les progressistes, ni pour les démocrates-chrétiens, ni pour les évêques qui se rangent derrière les équivoques de Vatican II pour changer jusque dans l’esprit des enfants du catéchisme la manière d’être catholique ou pour ménager un arrangement avec l’Etat socialiste sur l’école libre… La formation d’Action française nous donne certainement, pour analyser la crise de l’Eglise, une objectivité qui risque parfois de manquer dans certains milieux traditionalistes. Notre méthode d’analyse, fondée sur les faits, dépouillée de tout sentimentalisme, nous éviter certains excès dont il est si difficile, pour d’autres, de se garder dans le désordre actuel.
L’Action française ne se contente pas d’analyses abstraites ; elle enregistre aussi avec une grande satisfaction toutes les réalisations des traditionalistes qui, dans la tourmente, maintiennent ce qui ne doit pas mourir (séminaires, liturgie, catéchisme, écoles réellement catholiques). Tous ceux qui ont le souci de la renaissance de la France dans son être propre doivent s’en réjouir. Il découle de cela que nous ne condamnons nullement ceux de nos amis qui apportent une aide à ces réalisations, ni ceux qui vont chercher chez M. l’abbé de Nantes leur aliment spirituel. Comme je l’ai écrit dans Aspects du 19 avril, répondant à notre ami Jean Vieux à propos de sa brochure sur la Contre-Réforme Catholique, « Maurras n’a jamais prétendu répondre à toutes les aspirations de l’homme ».
Mais j’ajoute aussitôt : il ne faut pas sacrifier le combat politique au combat religieux. Ni, non plus, laisser le combat religieux absorber le combat politique. L’Action française, disais-je encore à Jean Vieux, se suffit à elle-même dans son ordre : le politique. Et c’est parce qu’elle s’y tient, seulement mais totalement, qu’elle est aujourd’hui plus que jamais irremplaçable. C’est ce qu’il me reste à montrer avant de terminer.
La portée spirituelle du « Politique d’abord »
Nous sommes les seuls, dans le combat contre-révolutionnaire, à désigner et à bien connaître la cause du mal : c’est la démocratie. Nous avons la plus longue expérience du combat contre la démocratie qui aujourd’hui répand ses ravages sur l’Eglise après les avoir répandus sur la Nation française et les autres nations occidentales. La démocratie, comme Maurras l’a bien expliqué, est née elle-même de l’esprit de libre-examen inoculé à l’Occident au XVIème siècle par Luther. La Révolution de 1789, c’est le triomphe politique du luthérianisme. De l’erreur théologique à l’erreur politique il n’y a qu’un pas, c’est toujours une erreur sur la place de l’homme dans l’ordre de la Création, une rupture avec l’ordre catholique.
Tant que les principales nations chrétiennes restèrent fidèles à leurs traditions, l’Eglise catholique resta elle aussi intacte, et le XVIIème siècle fut un grand siècle catholique. Mais dès que la France fit du libre-examen, autrement dit du culte de l’homme et de sa volonté souveraine, le fondement d’un nouvel ordre politique, l’Eglise se trouva entravée dans sa mission. Au nom d’une nouvelle définition de la liberté, les hommes d’Eglise furent condamnés à admettre que la religion ne soit plus qu’une affaire privée ; l’Etat leur imposa les lois laïques. Et peu à peu, dans l’espoir sincère mais naïf de retrouver une audience dans un monde qui fonde toute « légitimité » sur l’adhésion populaire, ils se mirent à adopter le langage nouveau, puis les idées nouvelles, aboutissant ainsi à ce curieux mélange qu’était la démocratie-chrétienne et finalement à ce monstrueux mélange qu’est aujourd’hui le progressisme. C’est ainsi, et pas autrement, que la démagogie, la compromission, l’esprit de lutte des classes et autres aberrations se sont introduits dans l’Eglise, au point aujourd’hui de paralyser l’enseignement de la Vérité.
Il faut bien en conclure – et je me permets de vous renvoyer à mon livre L’Illusion démocratique – que lorsque nous aurons chassé la démocratie dans l’Etat, nous aurons fait énormément pour la remise en ordre de l’Eglise. Quand, sous l’autorité du Roi, les communautés naturelles auront pu se rétablir librement et redonner aux hommes le sens des vraies solidarités, les prêtres se rendront bien vite compte qu’ils n’ont pas besoin de faire de la démagogie pour faire passer la vérité. Quand, ayant rejeté le système électif, on en aura fini avec le mythe de la souveraineté du peuple, le pouvoir royal, libéré de toute idéologie, soucieux du seul bien commun, conscient de ce qui est bon pour la France, rendra à l’Eglise toute sa liberté et aux familles la liberté de faire enseigner leurs enfants dans la foi de leurs ancêtres. On ne verra plus des évêques réduits à demander quelques concessions à l’Etat au nom de sa propre conception de la liberté ! La liberté d’enseignement redeviendra la liberté de conduire les enfants au Vrai, au Beau et au Bien. Le rétablissement de la Monarchie libèrerait l’Eglise de ce souci démentiel de se faire accepter, parce que la Monarchie n’imposerait aucune idéologie, aucune conception de l’homme. Je ne dis pas que tout serait réglé pour autant, mais il est clair que le renversement de la démocratie politique rendrait sans objet les contorsions de nos évêques pour se faire bien voir d’une intelligentsia véhiculant une pensée à la mode. Le Roi, ayant tout intérêt à laisser la France s’organiser selon l’ordre naturel, susciterait, protégerait la liberté de tout ce qui ce qui constitue le vrai visage de la France. En revanche au nom du bien commun, il aurait le droit de sévir contre les hommes d’Eglise qui se serviraient de leur qualité d’ecclésiastiques pour troubler l’ordre public. La Monarchie laisserait toute liberté d’aller au Vrai et au Bien ; elle mettrait des limites à la liberté de dérailler ; la démocratie est tenue par son idéologie même de faire exactement le contraire. C’est pourquoi il ne sera jamais possible de redresser fermement les intelligences, pas plus dans le domaine religieux que dans les autres, tant que l’on sera en démocratie.
L’exemple de sainte Jeanne d’Arc
Voilà donc pourquoi notre action politique, même dans un souci spirituel, est indispensable. Nous n’entendrons nullement décourager les traditionalistes et nous sommes heureux d’accomplir avec eux des actions communes, comme par exemple, le cortège traditionnel d’hommage à sainte Jeanne d’Arc. Mais dites à vos amis traditionalistes que leur œuvre, fort utile, sera sans cesse à recommencer tant qu’elle s’exercera dans une société organisée essentiellement, idéologiquement, en vue de se passer de Dieu.
Et puisque je viens d’évoquer Jeanne d’Arc, ayons toujours son exemple présent à nos yeux. Dans une Europe livrée à tous les désordres politiques autant qu’intellectuels et religieux, elle a d’abord remis sa nation la France en bon état de vivre, elle a dit : « Politique d’abord ». Et c’est à partir de cela que se sont opérés les autres redressements. La leçon ne doit pas être perdue. Pour nous, Français, héritiers d’une nation qui est l’élément le plus riche de la chrétienté, la fille aînée de l’Eglise, une action, pour être tout à fait chrétienne, ne peut jamais cesser d’être une action française.