La Terreur à Bordeaux: les morts de la Chartreuse
"Jusqu'à la fin de l'Ancien Régime, le sort des condamnés à mort s'achevait souvent dans l'anonymat au cimetière de la Chartreuse. Au mieux, les restes des personnes frappées par le glaive des lois passaient entre les mains des médecins pour les dissections à l'hôpital Saint-André, en hiver uniquement, pour les raisons que l'on imagine. Mais le plus souvent, après l'exécution capitale, ils étaient brûlés afin qu'ils ne puissent obtenir de pardon et une inhumation décente dans les terres consacrées d'un cimetière.
"Plus respectueux du corps, le XIXe siècle leur concéda le droit d'être enterrés dans les cimetières communaux. Leurs dépouilles ne furent plus bannies comme aux siècles précédents. Cependant, ils devaient être enterrés dans le plus grand secret afin que nul ne puisse connaître l'emplacement de leurs tombes ; une façon symbolique de doubler la peine qui leur était infligée. Les instructions étaient données dans ce sens aux employés du cimetière. Certaines familles pouvaient réclamer leurs corps mais il s'agissait de mesures exceptionnelles.
"Le panier de la guillotine
"D'une manière générale, les suppliciés étaient ensevelis dans la partie sud-ouest de la nécropole, dans « un emplacement tout à fait négligé que la main du prêtre ne bénit jamais », écrit Auguste Bordes en 1845 (1), et au pire au milieu des allées, en compagnie des suicidés. On marchait sur ces malheureux, on les piétinait pour mieux dire afin de poursuivre le châtiment que la justice de l'homme avait ordonné. Les inhumations se faisaient sans prière et sans intercession, comme s'ils ne devaient rien attendre de la miséricorde divine.
"Grâce aux archives, on connaît quelques-uns des condamnés à mort, qui furent inhumés à Bordeaux pendant la Terreur au cimetière de la Chartreuse. Les exécutés de la place Nationale (aujourd'hui place Gambetta) affluent chaque jour au cimetière Saint-Seurin encore en activité et au cimetière général. Le 29 juillet 1794, la municipalité reçoit plusieurs plaintes car l'exécuteur des jugements (autrement dit le bourreau) « va laver le panier de la guillotine dans la Devèze et il répand du sang partout ».
"Le 6 juillet 1817, Emel Randon, Joseph Cassagne et Bédrines, tous les trois conspirateurs de l'État, subirent leur peine à quatre heures trois quart de l'après-midi place d'Aquitaine (aujourd'hui place de la Victoire) ; le 9 septembre 1840, Pierre Vincent Eliçabide, professeur, auteur d'un triple assassinat réalisé avec le même couteau ; le 23 octobre 1858, Jeanne Constantin, couturière, avait tué sa voisine pour la voler ; le 3 juillet 1883 Pierre Martinet, cultivateur à Sainte-Foy-la-Grande, avait tué son oncle, un vieillard âgé de 73 ans. On peut ajouter les célèbres frères Faucher, de La Réole, deux généraux traduits en conseil de guerre et fusillés par les balles royalistes le 27 septembre 1815, enterrés quelque part dans la nécropole."
(1) « Histoire des Monuments de la ville de Bordeaux », Auguste Bordes, 1845.
Source: http://www.sudouest.fr/2012/03/06/les-oublies-de-la-chartreuse-651281-2780.php